D’une main ferme, Frère Tuck poussa la porte de la Taverne de Nottingham. Il prit une grande inspiration et se remplit les poumons de cette odeur si particulière. Ici, ça sentait la soupe, la soupe, l’alcool de mûre, le feu de bois et la transpiration. Le tout saupoudré d’un fumet de viande grillée, vestige des poulets qu’on avait dû faire rôtir à la broche la veille au soir.

Toutes ces effluves, c’était l’odeur du peuple. Et Tuck aimait le peuple, il aimait ses ouailles et cette odeur dans laquelle il avait si souvent prêché dans ses jeunes années. C’était d’ailleurs pour renouer avec cette vieille habitude qu’il était venu ici. La tenancière le connaissait bien. Il venait régulièrement dépenser les deniers honnêtement volés aux coqs de la cour de l’ami Jean. La boisson n’en était que meilleure.

Le moine ventru fit un premier pas dans la salle enfumée. La première marche des trois qui permettaient de descendre jusqu’à la salle craqua sou le poids du saint homme, la deuxième protesta également tandis que la troisième encaissait silencieusement.

La bonne journée mes enfants ! lança-t-il à la ronde.

Quelques bières se levèrent pour le saluer en retour, quelques visages curieux se tournèrent vers lui. Tuck passa outre et se rendit immédiatement vers l’objet de ses désir ; le comptoir et son stock –inépuisable semblai-t-il –  de boisson.
Avec des gestes d’une maîtrise consommée, appuyée par plusieurs années d’entraînement, Tuck toqua sur le comptoir.

-Ariane ! Ma fille, servez moi donc une bière !

- Ah, mon père, s'exclama Ariana avec un sourire en s'approchant.Il y a bien longtemps que nous n'avions pu jouir de votre présence. Quel bon vent vous amène ?

Mais ma fille, c’est celui qui porte les effluves de votre excellente bière jusqu’à mon antre !

En fait de vent, Tuck avait surtout suivis Robin. Ce denier avait à faire en ville. Il s’y rendait incognito et comme Tuck faisait partie de ses acolytes connus du shérif, il avait suivis son amis jusqu’à  la place du marché où les joyeux compères s’étaient tous séparés pour mettre les hommes du shérif dans la panade. Jusque-là ça fonctionnait bien.

Comme pour confirmer les pensées du moine,  la porte de l’établissement s’ouvrit sur un grand escogriffe arborant une longue et inquiétante rapière et une capuche tout aussi longue qui cachait son visage. Tuck avait un peu honte d’avoir attiré le sombre personnage ici. Mais le moine savait que la meilleure façon pour lui d’être en sécurité en ville, c’était de prêcher. Il était impressionnant de constater comment les gens s’agglutinaient autour de lui quand il commençait. Au bout d'un moment, la foule était si dense que personne ne pouvait penser la fendre avec de mauvaises intentions.

D’un haussement d’épaule, Tuck reporta son intention sur la bière qui venait d’apparaître sur le comptoir. Il en prit goulument une gorgée.

Dieu vous bénisse ma fille ! Quelque chose me dit qu’Il est pleinement satisfait du rôle que vous jouez à merveille dans cette belle ville qu’est Nottingham…il prit un air de conspirateur.Le Saint Esprit m’est d’ailleurs apparue la nuit dernière et exige de connaître votre secret Ariane, cette bière est décidément parfaite!

Attention:

Voilà qui était inattendu pour le moine. Il était venu ici pour échapper à des poursuivants, pas pour aider ces gens. En fait, ç'aurait même dû être l'inverse. Mais apparemment, le Tout Puissant en avait décidé autrement. Il lui fallait encore une fois jouer son rôle de berger bienveillant, prêt à tout pour ses brebis.

Pour se donner contenance et inspiration, Frère Tuck avala de nouveau une rasade du délicieux hydromel de la tavernière. Il avait déjà entendu parler de ce mal et, visiblement, il se propageait.

Mon fils point d'inquiétude car si ton père se meurt, c'est la volonté de Dieu. Et Dieu est juste et bon. Il l'accueillera en Son Paradis, si telle est Sa volonté.Le moine prit alors les mains de l'homme entre les siennes.Pris pour ton père mon fils. Pris pour lui mais n'oublie jamais les sept fléaux qui s'abattirent sur l'Empire D'Egypte. Le peuple de ce pays était peuplé d'innocents. Pharaon seul avait attiré la colère du Saint Esprit sur sa terre. Pourtant, beaucoup périrent pour que les Hébreux puisse vivre libres.

Tuck embrassa alors les occupants de la taverne d'un seul regard. Il avait parlé suffisamment fort pour que tous puissent l'entendre. Il savait son auditoire captivé. Il reprit une gorgée d'hydromel et poursuivit.

Le Peuple Egyptien ne fit rien contre le mal, car il se fiait à Pharaon. Mais que ce serait-il passé si ce peuple avait libéré les hébreux de lui-même. Que ce serait-il si ce peuple avait fait entendre sa voie, celle de la colère, de l'indignation? Je vous dis d'y penser mes enfants. Nous ne sommes peut-être que le peuple, mais ce n'est pas une raison pour que nous subissions les erreurs de quelques hommes. Pensez-y car Les Saintes Ecritures elles-même le disent; Rois, conduisez-vous avec sagesse! Juges de la terre, recevez instruction!

Alors, Tuck laissa planer un silence et reprit plus doucement en s'adressant à l'homme.

Ton père n'est pas le seul à souffrir. Et tu dois être comme lui l'aurait été pour toi. Pris ardemment et n'oublie jamais que le Tout Puissant embrasse la cause des justes.